Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour son roman “Leurs enfants après eux”, nous fait l’honneur d’écrire la 16e dictée d’ELA. Un texte plein de poésie, magnifiquement illustré par Baru, Grand prix d’Angoulême 2010.

• Nicolas Mathieu : Je suis auteur, cela fait maintenant 25 ans que je ne fais plus de dictée sous la contrainte. J’ai été ravi d’écrire la dictée d’ELA car c’est à la fois pour une bonne cause, et c’est aussi un joli exercice de style que de raconter une histoire en peu de mots et qui va être lue à plus de 500 000 écoliers et collégiens. Quand le plaisir rejoint une bonne cause c’est bien !
• Baru : Je m’appelle Hervé Baruléa. J’ai raccourci mon nom car comme c’est un nom d’origine italienne, on me l’estropiait tout le temps. Je suis devenu Baru et je suis auteur de bande dessinée depuis presque 40 ans. Je connais ELA, j’ai déjà participé à ses actions. Il se trouve aussi que je suis un fan de la première heure de Nicolas Mathieu. J’avais adoré “Aux animaux la guerre”. Avec son dernier livre, j’ai failli mourir, cela parle tellement bien de ma région et de ce que je suis. J’ai adhéré tout de suite à son propos. Quand on m’a proposé d’illustrer la dictée de Nicolas Mathieu, il était même hors de question que je fasse semblant de réfléchir.
• Nicolas Mathieu : Cela me flatte beaucoup, car il faut que je le dise, j’ai beaucoup puisé dans tes bouquins. Je me souviens encore avoir décrit des hauts-fourneaux avec tes images sous les yeux. Alors, ça ne me fait pas rien !

ELA : Comment vous est venue l’inspiration pour ce texte de la dictée ?
• Nicolas Mathieu : Quand j’étais môme et que venait le moment de la dictée, c’était un enfer. Je n’étais pas du tout bon en grammaire, ni en orthographe, c’était une vraie angoisse. C’est sur ce conflit-là que moi je vivais à chaque fois qu’il y avait une dictée, que je me suis dit que j’allais raconter cette histoire. L’idée que je souhaite faire passer, c’est de se dire que les dictées c’est difficile, on en souffre mais on s’en sort.

ELA : Quel message avez-vous envie de passer aux enfants à travers ce texte ?
• Nicolas Mathieu : Quand un adulte leur parle d’un moment pénible comme une dictée, rétrospectivement ça leur montre qu’on n’y est pas condamné à tout jamais et surtout je voulais faire passer cette envie de courir pour ELA.

ELA : Ce texte a eu quel écho chez vous ?
• Baru : Moi j’étais très bon en dictée, j’étais en fait un excellent élève ! Ma mère en tout cas, en était convaincue. J’ai bien aimé le fait d’aborder une dictée sous cet angle, c’est-à-dire comme une source de souffrance. J’ai donc essayé de faire en sorte avec le dessin de dédramatiser la trouille de la dictée au profit de quelque chose de plus dynamique, de plus joyeux, comme de pouvoir se sauver, échapper à la corvée. J’ai essayé de dédramatiser la chose de manière à ce que tous les gamins se disent “Allez, ce n’est pas si terrible que cela en fait”.
• Nicolas Mathieu : Dans le dessin de Baru il y a beaucoup d’élan, un bel élan, on voit les gamins comme ça, comme toujours dans ses dessins. La course est organisée comme si on se rattrapait au bord de la chute. Je crois que pour cette initiative on a besoin d’un maximum d’élan.

ELA : Quel message avez-vous envie de délivrer au travers de cette création.
• Baru : J’en reviens au fondamental, celui d’ELA. Je pense qu’ELA est une très noble cause car elle concerne relativement peu d’enfants qui ont cette maladie. Automatiquement les autres font don de leur énergie – je trouve qu’il y a quelque chose de symbolique dans ce geste – il y a de l’énergie que l’on va envoyer à ceux qui en ont besoin. Quand ils courent, mes personnages sont au bord de la chute… J’étais professeur d’EPS et je sais que la marche et la course sont en fait des chutes en avant que l’on évite en avançant un pied. Donc pour donner l’illusion de la course quand on dessine, pour créer le mouvement, il faut juste placer les personnages au bord de la rupture et là, on a le dynamisme.

ELA : Le mouvement c’est important pour vous ? Se bouger pour une cause ?
• Baru : Oui, c’est quasiment au sens figuré, se bouger pour une cause. C’est-à-dire que les gamins sont invités à bouger, à faire quelque chose d’eux-mêmes et dans le même temps, ils vont bouger pour cela. Donc automatiquement, c’est une métaphore saturée, je trouve que c’est bien et il faut vraiment que d’autres gens adhèrent à cette initiative-là.

ELA : Les mots peuvent produire de l’engagement ?
• Nicolas Mathieu : Je pense que oui. Les idées politiques que j’ai, viennent des livres que j’ai lus. Et je crois que souvent les grands livres, les bons livres, ceux qui nous animent, fonctionnent comme de grands feux sur une plage, c’est-à-dire qu’on vient se réunir autour et ça coalise des volontés, des gens qui se mettent d’accord sur un certain nombre de définitions, sur des manières d’aborder le monde, sur des colères et des inspirations. La littérature ne change pas le monde mais elle permet au moins de se reconnaître entre soi et de former des coalitions d’alliers.

ELA : Vous pensez que l’école, le collège peuvent être des lieux de développement de la solidarité ?
• Nicolas Mathieu : Toutes les communautés humaines peuvent être des lieux de développement de la solidarité. La solidarité c’est comme la révolution, il ne manque qu’une étincelle pour que ça prenne. C’est ce qu’on essaye de faire là, d’amorcer un truc pour qu’il y ait un effet d’emballement ce jour-là, qu’il y ait beaucoup de monde et que l’on fasse collectivement front. C’est beau de voir des masses se coaliser pour quelques-uns. Ça vaut le coup de se serrer les coudes.

ELA : Quels conseils avez-vous envie de donner aux enfants ?
• Nicolas Mathieu : Les générations qui montent sont moins égoïstes que la nôtre. Elles sont plus lucides sur les problèmes d’environnement, on voit partout monter des solidarités nouvelles. Honnêtement, je trouve qu’ils sont plus vertueux que les baby-boomers ces jeunes-là.
• Baru : Ce pli qu’ils ont pris à propos d’ELA, s’ils pouvaient le conserver toute leur vie ! C’est un bien précieux, le sens de la solidarité. Et après peut-être, que ça permettra d’aller plus loin, on peut imaginer d’aller vers la solidarité de groupe, la solidarité de classe… c’est ensemble que l’on va arriver à faire changer les choses de toute façon.

Nicolas Mathieu, Guy Alba, Baru et Jean-Luc Corti